Sommes-nous sûrs que le postlibéralisme est meilleur que le libéralisme ? Non.


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la comparaison
Sans débat critique et sans pouvoir limité, la démocratie se transforme en une nouvelle forme de domination. Le postlibéralisme promet cohésion et ordre, mais détruit les fondements d'une société ouverte.
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« Il faut un juge à Berlin », telle est l'expression attribuée au meunier Arnold de Potsdam, qui s'insurgea contre l'injustice du baron. Le meunier obtiendra justice, malgré la corruption des nombreux juges, et, portant son affaire à Berlin, devant le souverain, il trouva un juge qui lui donna raison. Cette phrase a toujours été considérée comme l'expression suprême de la justice, contre l'arbitraire. La justice est la condition nécessaire à l'instauration d'un ordre politique libéral, d'une société ouverte, animée par la critique. Le libéralisme exprime la théorie et la pratique du pouvoir limité, car, à la suite de Lord Acton, nous savons que « si le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Le libéralisme est donc la philosophie politique de la contingence humaine qui impose des limites au souverain . C'est à partir de cette considération que naissent les démocraties libérales, qui se distinguent en cela des régimes illibéraux, dont les institutions obéissent aux caprices du souverain, qu'il s'agisse d'un roi, d'un Parlement ou du peuple ; pensons, par exemple, aux démocraties illibérales.
C'est Karl Popper qui a offert une clé pour saisir le sens profond du modèle libéral-démocratique, démontrant l'absurdité et la dangerosité de la question platonicienne de savoir qui doit gouverner. Absurde car elle nous conduit à rechercher quelque chose qui n'existe tout simplement pas : le quid (quelque chose) de gouverner, comme s'il existait des individus, des classes ou des groupes sociaux naturellement doués, et donc appelés par le destin, à gouverner les autres. Mais elle est aussi dangereuse car elle insuffle à ceux qui se sentent investis d'un tel quid le désir de le faire sans limites ni contrôle. Au contraire, soutient Popper, la question sensée et utile n'est pas de savoir qui doit gouverner, mais plutôt comment organiser le pouvoir pour que ceux qui gouvernent réussissent ou, à tout le moins, évitent de faire trop de mal. Si tel est le sens profond de la démocratie libérale – des institutions qui permettent au pouvoir de limiter le pouvoir –, la position de ceux qui cherchent à promouvoir un ordre politique « post-libéral » apparaît extrêmement problématique. C'est par exemple la position exprimée par le théoricien politique Patrick Deneen, professeur à l'Université Notre Dame dans l'Indiana, aux États-Unis. Connu des lecteurs pour son ouvrage « Pourquoi le libéralisme a échoué » (2018), Deneen a récemment été invité à la réunion de Rimini pour présenter son nouvel ouvrage : « Changement de régime. Vers un avenir postlibéral » (2024).
La thèse postlibérale est bien connue : le libéralisme, ayant mené à bien son projet émancipateur, est contraint d'admettre sa propre disparition. En effet, la réalisation du programme libéral progressiste, par la reconnaissance des droits individuels et « insatiables », signifierait également la dissolution des liens qui unissaient la société. D'où la nécessité de reconnaître l'échec de l'ordre libéral, fondé sur les biens dits faibles : une société ouverte, la mondialisation et le débat critique, et la nécessité d'identifier de nouvelles solutions que, pour l'instant, Deneen lui-même semble incapable de définir, si ce n'est en se référant à un esprit communautaire capable de raviver les biens forts : la religion, la nation et le sentiment familial. En toute justice, il faut reconnaître que le postlibéralisme, expression de la culture politique américaine, souffre du glissement lexical qu'a connu le terme libéral ces dernières décennies, assimilant libéral à progressiste et s'éloignant, presque irrémédiablement aux États-Unis, du libéralisme classique.
Un tel changement a conduit une grande partie du monde conservateur américain à abandonner définitivement le terme « libéral », comme le dit l'adage : jeter le bébé avec l'eau du bain, le livrer entièrement à l'adversaire. De ce fait, le terme « libéral » s'est imposé comme tout ce qui est le plus éloigné du libéralisme classique, en particulier des nombreuses expressions de la culture woke et du progressisme. À ce stade, quelques questions et une dernière considération. Face à l'accusation d'échec institutionnel du libéralisme, en quoi consiste le post-libéralisme et comment ses théoriciens entendent-ils organiser le pouvoir pour que ceux qui gouvernent ne causent pas trop de tort ? Nous comprenons qu'une société ouverte et un débat critique puissent être agaçants, mais que proposent les partisans du post-libéralisme ? Peut-être le calme des cimetières, pour ne pas déranger le souverain ? Si le débat critique est irritant parce qu'il accueille sur la place publique des positions que nous jugeons inacceptables, comment réagirons-nous lorsque nos positions seront jugées inacceptables ? Accepterons-nous sans sourciller la suppression de journaux dont le positionnement est jugé incompatible par le pouvoir hégémonique avec le régime, voire avec le « nouveau cours » de l'histoire ? Et qu'adviendra-t-il des enseignants des écoles et des universités qui refusent de s'aligner sur les préceptes des biens forts qui définiront les objectifs du nouveau régime ? Si la démocratie libérale est une société ouverte et s'appuie sur le débat critique, toute démocratie post-libérale, en renonçant à une société ouverte, ne peut qu'être un « chemin vers l'esclavage ». Renoncer à une société ouverte et au débat revient à renoncer à la chose la plus humaine et la plus vitale qui soit. Après tout, les libéraux, c'est-à-dire les gens populaires, se nourrissent de critique.
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